Hermul Aschauer / Wikimedia Commons, CC BY-SA
Les tableaux classiques sont parfois surprenants, pour qui sait les scruter attentivement. La peinture religieuse, par exemple, compte bon nombre de femmes dotées d’une barbe.
Qu’elles soient pécheresses ou saintes, les femmes atteintes d’hirsutisme (apparition d’une pilosité dans des zones normalement glabres chez la femme) ont toujours été perçues comme de mystérieux prodiges qui pouvaient tantôt annoncer de grands maux et des châtiments divins, tantôt comme un symbole de résistance face aux pressions exercées pour qu’elles abjurent leur foi.
Depuis l’Antiquité
La pilosité féminine a toujours fait l’objet de commentaires et de représentations particulières. Dans le monde oriental de l’Antiquité, on trouve des images de femmes barbues sans charge négative, comme la déesse Ishtar de Babylone, le pharaon Hapshepsut d’Égypte, ou la « Vénus de Barbate » de l’île de Chypre. Mais dans le monde occidental, la présence de la pilosité faciale féminine était principalement associée à la nature primitive des femmes, et on l’associait automatiquement à un comportement libidineux, comme si cette particularité rendait les femmes moralement répréhensibles.
Dès les premières descriptions de l’origine du monde, les textes bibliques et la littérature justifient la supériorité de l’homme sur la femme, montrant la femme comme un mal en soi, un être beau mais aux instincts bas par nature, par opposition à l’image de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Selon la théorie des humeurs de l’Antiquité, la différence physique la plus évidente entre les deux sexes, les cheveux, était également liée à l’appétit sexuel. Selon la tradition, une abondance de cheveux et de poils sur le corps indiquait la virilité chez les hommes et une volupté dangereuse chez les femmes. Ces théories se sont exprimées dans des textes et des traités médicaux et philosophiques (Hippocrate, Galien, Avicenne ou Aristote), et ont fait irruption dans l’histoire de l’art à partir du XVIe siècle.
Les cheveux dans l’art
Giambattista Della Porta est l’un des premiers théoriciens de l’art à avoir relevé les connotations morales négatives associées aux femmes à barbe. Plus précisément, dans la section « Sur les cheveux » de son ouvrage De humana physiognomonia, il affirme que « la femme barbue est de mauvais caractère ».
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Si, dès la Rome antique, une grande partie des malheurs publics était attribuée à l’immoralité féminine, Della Porta soutenait qu’une femme barbue, « comme le monstre qu’elle est, est un signe avant-coureur de malheurs imminents ». Selon ces idées, les dieux, dans un geste de générosité et de pitié envers les mortels, essayaient de les aider à éviter les conséquences de grands dangers en envoyant des signes avant-coureurs qui se manifestaient par des événements surprenants, terribles ou inexplicables, ou par la présence d’êtres difformes ou monstrueux qui, avec un caractère prophétique, annonçaient un grand malheur avec leur naissance.
Avec la montée du christianisme, la naissance de ces êtres a été largement avancée comme une preuve physique et tangible de la punition divine. Ainsi, ces nouveau-nés accusaient publiquement leurs parents d’avoir enfreint les règles morales de la conception, leur imposant une pénitence qui se prolongerait cruellement tout au long de la vie de l’enfant.
Les sources antiques et médiévales regorgent de témoignages de naissances « monstrueuses ». Ce n’est qu’au début du XVIe siècle que cette vision sera abandonnée, à la faveur des théories humanistes qui souhaitent expliquer les problèmes physiques à travers la recherche médicale, les éloignant progressivement de l’explication de la punition divine.
Portraits documentaires
Grâce à cette nouvelle vision du monde, et grâce à l’imprimerie, à partir du XVIe siècle, les représentations de femmes à barbe commencent à être réalisées avec des connotations différentes, éloignées de la sphère du péché, illustrant des traités d’Histoire naturelle, de médecine ou de philosophie.
À partir de ce moment, on voit apparaître ces femmes dans la peinture : Brígida del Río, également connue sous le nom de femme à barbe de Peñaranda, peinte par Sánchez Cotán en 1590, ou Magdalena Ventura, peinte quelques décennies plus tard à Naples par José de Ribera.
Dans les deux cas, les peintres ont abordé le sujet sans la moindre critique ou censure, en traitant les femmes avec un intérêt documentaire dans lequel leur maladie est soulignée avec dignité. Dans le cas de Brígida, le peintre l’a représentée avec un regard aimable, direct et sincère, les mains croisées sur ses genoux, son geste, son visage et ses vêtements immaculés montrant l’honnêteté de son âme.
Le portrait de José de Ribera, quant à lui, reflète la douleur contenue d’une femme qui, en raison de l’hirsutisme qu’elle a développé après l’âge de 37 ans, a subi de tels changements physiques qu’elle a pris l’apparence d’un homme. Dans ce cas, le regard presque défiant de Magdalena, qui s’accroche à son fils tout en lui offrant un sein à téter, contraste avec la désolation de son mari, qui semble vouloir se fondre dans le décor.
Femmes à barbe et saintes
D’autre part, bien que la plupart des représentations de femmes poilues soient liées à des comportements immoraux et pécheurs, il existe également des représentations de femmes dont les cheveux ou la barbe symbolisent leur sainteté. L’un de ces cas extraordinaires est celui du fictif Sainte Wilgeforte (de Virgo Fortis), une vierge martyre d’origine portugaise dont la légende et le culte se sont répandus dans toute l’Europe.
L’histoire raconte que cette jeune fille romaine s’opposa aux projets de mariage de sa famille, pria et jeûna pour éviter une telle union, car elle souhaitait consacrer sa vie à Dieu. La réponse à ses prières vint sous la forme d’une barbe proéminente et d’une moustache touffue. Cette pilosité provoqua immédiatement le dégoût de son fiancé et l’annulation du mariage, et son père la fit crucifier.
La représentation iconographique de ces saintes les montre avec un visage barbu, crucifiées et vêtues d’une longue tunique qui couvre presque entièrement leur corps, ne laissant apparaître que les mains, les pieds et la tête.
Dans le cas de ces femmes, la barbe et les traits masculins sont précisément le symbole de leur sainteté, l’élément iconographique qui les définit et permet de les identifier. L’iconographie de ces « saintes virilisées » a évolué au fil du temps. La barbe est devenue plus subtile, disparaissant ou étant remplacée comme élément de différenciation par le fait d’être une sainte crucifiée, avec une anatomie féminine que l’on peut deviner sous les vêtements, couronnée et portant de riches vêtements.
La consolidation de ces nouvelles figures a mis les fidèles en contact avec des modèles de femmes dont la barbe était une source de fierté. La barbe de Sainte Wilgefortis, connue en Espagne sous le nom de Sainte Librada, ou Sainte Paule d’Avila représentait l’amour du Christ pour ces jeunes femmes qui désiraient consacrer leur vie à Dieu et à la prière, devenant l’invocation préférée des femmes malheureuses dans leur mariage et rendant la représentation des femmes à barbe un peu plus populaire dans la société.
Toutes ces femmes – humbles, nobles ou saintes – sont présentes sur des toiles ou des gravures et comptent parmi les « mirabilia » des fameux cabinets de curiosité qui abondent en Europe à partir de la Renaissance.
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