Pour certaines personnes, ouvrir un réfrigérateur qui embaume le roquefort, le cabrales ou le camembert est comme une évocation des senteurs du Paradis. En revanche, y trouver une tomate ou un yaourt abîmés par la moisissure ne provoque généralement pas les mêmes sensations.
Les fromages sont des aliments très populaires, il en existe plusieurs centaines de variétés. Parmi cette multitude, les fromages à pâte persillée (autrement dit les bleus) et ceux à croûte blanche retiennent incontestablement l’attention : ils doivent leur aspect et leur arôme particuliers aux moisissures qui les composent.
Pour ceux qui ne sont pas familiers de ces produits laitiers, ces champignons qui les parsèment peuvent être à l’origine de nombreux questionnements. Sont-ils sans risque pour la santé ? Pourquoi consommer de tels fromages, alors que nous évitons de manger les aliments moisis ? Pour y répondre à cette question, il faut comprendre comment vivent ces micro-organismes et comment ils se développent dans les fromages qu’ils colonisent.
Quel rôle jouent les moisissures dans le fromage ?
Les champignons sont un groupe d’organismes qui n’appartiennent ni au règne animal (ce qui est assez évident), ni au règne végétal (ce qui l’est moins : en raison de leur apparence, la confusion est plus aisée). Ils font partie d’un règne distinct du vivant, le règne des Fungi.
On y trouve notamment les organismes microscopiques que nous connaissons sous le nom de « moisissures » (qui sont des organismes multicellulaires filamenteux) et les « levures » (qui sont des organismes unicellulaires, c’est-à-dire composés d’une seule cellule). Nous ne traiterons pas ici de ces dernières, car leur rôle dans les processus alimentaires est principalement lié à leurs capacités de fermentation : on les utilise pour fabriquer des aliments comme la bière, le vin ou le pain, par exemple.
Les moisissures jouent quant à elles un rôle double dans l’élaboration des aliments. Comme nous l’avons déjà mentionné, les fromages à pâte persillée (comme le cabrales, le picón ou le valdeón en Espagne, ou le roquefort français, l’un des plus connus) et les fromages à croûte blanche « fleurie » (comme les traditionnels camembert ou brie, ainsi que les rouleaux de fromage de chèvre, plus récents) doivent leurs caractéristiques au développement de moisissures.
Dans les fromages bleus, la moisissure Penicillium roqueforti, avec sa forme en brosse caractéristique et son mycélium bleu-vert, se développe dans les cavités de la pâte. Dans ceux à croûte blanche, la moisissure qui croît en surface est P. camemberti, reconnaissable à son mycélium blanc cotonneux procurant à la croûte son aspect caractéristique.
En plus de donner leur couleur aux fromages, ces champignons produisent diverses enzymes qui dégradent les protéines et les graisses de la pâte. Ce faisant, ils génèrent toute une variété de composés qui confèrent à ces produits laitiers leurs odeurs et leurs goûts si particuliers. C’est la conséquence de la dégradation du substrat où se développent les moisissures (la matière organique de la pâte). Celles-ci y puisent les éléments dont elles ont besoin pour leur croissance.
Les autres espèces qui se développent parfois spontanément sur les fromages produisent aussi ces taches bleues familières (qui n’a jamais eu un morceau de fromage moisi dans son réfrigérateur ?), mais elles détériorent le produit, provoquant le rejet du consommateur. Les champignons bleus en question sont également des Penicillium mais appartiennent à d’autres espèces.
Est-il dangereux de manger du fromage avec des moisissures ?
La réponse à cette question est « cela dépend ». Dans le cas des fromages mentionnés précédemment, les moisissures utilisées ont été sélectionnées et leur consommation est considérée comme étant sans risque pour le consommateur.
Cependant, les champignons qui se développent sans contrôle à la surface d’autres fromages, ou suite à la détérioration naturelle des produits, peuvent présenter un danger. En effet, de nombreuses moisissures, notamment celles qui poussent fortuitement sur les fromages affinés, produisent des substances toxiques appelées mycotoxines. Consommer des fromages contaminés par de tels micro-organismes pourrait entraîner des problèmes de santé.
Nos travaux ont mis en évidence que l’altération des fromages à pâte pressée de type castellano/zamorano peut mener à la prolifération d’une espèce de moisissure (un Penicillium) capable de produire, si elle est présente en grande quantité et selon la souche considérée, des mycotoxines. D’autres études l’ont également mise en évidence dans différentes variétés de fromage.
Manger ou jeter des aliments moisis
Isoler et identifier les champignons du fromage n’est pas une tâche facile. Cela requiert d’y consacrer beaucoup de temps, de matériel, d’équipement et de personnel spécialisé. À la lumière des connaissances actuelles, il est donc préférable d’éviter de consommer des fromages présentant des moisissures qui se sont développées de façon spontanée et incontrôlée (notamment s’ils sont bleus).
Si vous trouvez un tel champignon sur votre fromage, que faire ? S’il se développe à sa surface, sur sa croûte, il suffit de la retirer. En revanche s’il est sous la croûte, il faut veiller à enlever, en plus du champignon, au moins 2,5 cm de matière autour de l’endroit où il s’est développé.
En ce qui concerne les aliments solides, on considère généralement que retirer la partie moisie suffit. En effet, les mycotoxines migrent difficilement à l’intérieur de tels aliments.
Le cas des fruits est particulier. Généralement, la moisissure affecte leur goût (les composés produits par son métabolisme se diffusent facilement dans une orange ou une pomme), et cela ne vaut pas la peine de conserver la partie non moisie, sauf si elle est vraiment conséquente.
Il est cependant difficile de généraliser la conduite à tenir. Chaque cas est particulier, et nécessite d’être évalué selon l’aliment et les risques liés à sa consommation. Ainsi, mieux vaut éviter de consommer des pommes moisies, car la principale cause de pourriture est un Penicillium producteur de toxines. Leur consommation présente donc un risque.
Enfin, il est déconseillé de consommer les aliments semi-solides (tels que les yaourts ou le concentré de tomates, par exemple) s’ils sont moisis, car les mycotoxines s’y répandent plus facilement.
Pour en revenir aux produits laitiers dont il a été question dans cet article, les amateurs de fromage bleus peuvent continuer à déguster les moisissures qui les parsèment en toute sécurité, tant qu’ils s’abstiennent de consommer les intrus qui s’y installeraient spontanément.
Teresa María López Díaz no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.
The Conversation. Rigor académico, oficio periodístico
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